Portraits d’août 2014

Je me suis baladé dans la partie nord du milieu du Japon en août. Je n’ai pas encore montré les photographies de ce voyage mais voici quelques personnes rencontrées sur les chemins de Kanazawa, Takayama, Kamikochi et Wajima.

Cédric Riveau
▲ Reiko, magasin – Kanazawa
Alors que je visitais Kanazawa pour la seconde fois, je découvrais ce jour-là une rue commerçante au sud du centre, une rue très intéressante pour son architecture, son ambiance et ses magasins de design plus jolis les uns que les autres. La galerie Noyau ouverte 8 ans plus tôt par Reiko ne dérogeait pas à la règle. La superbe vitrine avec sa porte coulissante était typique des vieilles maisons japonaises qui possèdent un magasin au rez-de-chaussée.
À l’intérieur, ses lunettes sur le nez, Reiko travaillait derrière son ordinateur portable, très concentrée. Elle leva les yeux par-dessus ses verres pour me saluer et me sourire. Je fis d’abord un tour de l’endroit pour y découvrir les produits d’intérieur que la propriétaire sélectionnait elle-même avec beaucoup de goût. Il s’agit de pièces uniques fabriquées par des artistes qu’elle rencontre : des verres, des plats, des couverts, des serviettes ainsi que des vêtements. Je ne pus m’empêcher de la féliciter sur la qualité des produits présentés et la conversation commença ainsi.
Reiko est née à Kanazawa où elle a toujours habité. Elle a travaillé dans des magasins de cette rue avant d’ouvrir le sien, un magasin au nom français. Elle a d’ailleurs commencé à étudier ma langue après être allée dans le pays trois fois. Comme je lui expliquais que je découvrais le quartier et qu’il me fascinait, nous avons parlé des boutiques que j’avais repérées et celles qu’elle voulait me conseiller. Elle-même avait d’ailleurs été embauchée chez Full of beans où je m’étais rendu la veille au soir : un restaurant lui aussi dans une vieille maison, un endroit que j’avais absolument adoré !
Nous avons bien discuté car si je me souviens avoir parlé de pépin et de noyau, qui se traduisent de la même façon en japonais, nous en sommes venus à parler de la prononciation de nos deux langues, de sa Mini sans que je me souvienne du fil de la conversation. Nous l’avons pris tous deux comme un signe d’entente, comme deux personnes qui discutaient après s’être perdus de vue.

Cédric Riveau
▲ Toda san, 68, bar – Kanazawa
Après ma belle découverte de la veille avec le restaurant Full of beans, je voulais un endroit rempli d’histoire et je n’ai pas été déçu. Nouvelle expérience donc à Kanazawa avec ce bar ouvert en 1969 : Le Londonya. Lui aussi, installé dans une vieille maison, il a plusieurs salles au rez-de-chaussée et deux entrées/sorties. Après avoir dîné, j’ai commencé à faire le tour du propriétaire et je suis tombé sur Toda san derrière son bar. J’ai tout de suite apprécié le visage accueillant de cet homme, sa classe et sa petite moustache de gentleman.
Il s’agit en fait de sa maison et il a décidé de transformer une partie en magasin. Au moment de ma visite, seul le rez-de-chaussée était visible car il réalisait des travaux. Le restaurant qui se trouvait jusqu’alors au sous-sol passait au 1er étage. Rien n’en paraissait à cette heure de la journée, à se demander si le déménagement avait commencé. Toda san m’expliqua qu’au niveau des installations électriques et des canalisations, les modifications étaient particulièrement compliquées.
Il était né dans cette maison et n’en avait pas bougé. J’étais très impressionné par ce concept, moi qui ai passé ma vie à changer de lieu de résidence. Quand je lui ai montré mon intérêt pour l’ère Showa – décidément – il en fut ravi, lui qui avait passé la plus grande période de sa vie avec cet empereur. Son bar, sa maison, son style respirait la fin de cette époque, les années 50-60, un style que justement j’appréciais. Même sa voiture, une Toyota Century de 40 ans se trouvait devant la maison et ne soulignait qu’un peu plus sa nostalgie.
Il me parla de ses voyages en Espagne et en Italie quand il découvrit ma nationalité. Il n’était jamais allé en France mais voulait absolument se rendre à Lyon, principalement pour faire quelques grands restaurants. Au moment de nous dire au revoir, il a sorti son livre et m’a remis un exemplaire. Je découvrais ainsi qu’il avait aussi des talents d’écrivain…

Cédric Riveau
▲ Izumi, 22, conservatrice – Takayama
À Takayama où je retournais aussi pour la seconde fois se trouve un musée qui possède une collection aussi magnifique qu’improbable au milieu du Japon, dans la campagne. Je ne suis toujours pas revenu des superbes pièces art nouveau et art déco qu’on peut contempler assez tranquillement là-bas. J’étais tellement éberlué à la fin de ma visite que je me suis dirigé vers l’accueil en titubant pour demander à voir la commissaire… comme un besoin furieux de discuter avec quelqu’un de ce que je venais de voir, de partager mon enthousiasme, si possible avec une personne qui s’y connaissait. L’hôtesse téléphona, légèrement décontenancée par ma requête… Izumi vint vers moi quelques minutes plus tard alors que j’étais assis, à repasser les chefs d’œuvre dans ma tête, me jurant de refaire le parcours une seconde fois.
Sa jeunesse me frappa. Je n’avais pas affaire à la conservatrice mais à une personne de l’équipe d’experts. Peut-être n’avaient-ils pas jugé nécessaire de m’envoyer une personne avec plus d’expérience, peut-être le ou la responsable était occupée ou en vacances… je lui fis aussitôt part de mes impressions et mon émerveillement l’amusa tout autant qu’il la surprit par sa naïveté. Comment une telle collection s’était retrouvée au fin fond du pays ? Je ne pus aussi m’empêcher de lui faire remarquer que plusieurs retranscription de français faisaient mal aux avec une orthographe plus phonétique que correcte comme « Boudelaire »… J’entrepris donc ma seconde visite accompagné d’Izumi non seulement pour parler des pièces qui m’avaient le plus marqué mais aussi pour signaler les fautes monstrueuses qui gâchaient la magnificence des œuvres. Izumi notait tout sur un carnet, gênée mais aussi ravie que quelqu’un les signale.
Très vite, nous nous sommes très bien entendus. Elle, amusée par mon emballement, moi, content d’avoir une personne si bon public, nous faisions du bruit dans les salles vides du musée.
Izumi vient de Takayama mais a étudié l’histoire de l’art à Tokyo. Pendant cette période, elle vivait à Saitama et prenait donc souvent le train pour se déplacer. Elle connaissait parfaitement l’endroit où j’habitais, non pas pour s’y être déjà rendue mais pour le localiser dans la capitale. Naïvement, je lui demandais si elle était fan d’art nouveau, si elle avait toujours voulu travailler à cet endroit. Que nenni ! Elle appréciait, certes, mais elle avait toujours voulu travailler dans sa ville natale et il s’agissait d’un des musées les plus importants dans le coin. Elle était donc rentrée tout de suite après ses études pour prendre son poste actuel. Elle venait de commencer… ce que j’avais deviné quand elle m’annonça son âge.
Le propriétaire du musée, ce collectionneur fou passionnée par l’art du début du XXe siècle était apparemment sympathique. Il était en réalité un expert du travail de Mackintosh, une évidence lorsqu’on apercevait le style du bâtiment, avec ses traits et ses formes, tout à fait dans le style de cet architecte britannique. La salle dédiée à cet artiste, une reconstitution d’un salon était d’ailleurs à couper le souffle. Ce fut justement à cet endroit qu’Izumi accepta de faire son portrait, car c’était aussi sa pièce préférée. Izumi s’était d’ailleurs rendue à Londres qu’elle aimait bien. L’autre clou du musée était justement ce bus londonien authentique qui se voyait tout de suite lorsqu’on arrivait. Décidément, ce collectionneur n’avait pas de limites.

Cédric Riveau
▲ Yusuke & Tomoyo, articles de montagne & bar – Kamikochi
Alors que j’admirais les Alpes japonaises pour la première fois, que je prenais plus de paysages, de verdure et d’arbres en une journée que je ne le fais en un an, au milieu de cette longue randonnée de la journée, je choisis de demander leur portrait à Yusuke et Tomoyo de dos, sans même les voir puisque nous marchions dans le mêmes sens. Sans doute le fait qu’ils se tiennent la main y était pour quelque chose… une certaine intimité, une aura les entouraient et me donnèrent envie de discuter avec eux.
Kamikochi est un endroit magique qui regorge d’arbres en tout genre, de ruisseaux et de rivières limpides, de paysages époustouflants… beaucoup de Japonais y viennent pour se ressourcer, se rafraichir pendant les grosses chaleurs estivales, camper au milieu de ce parc naturel protégé. Yusuke et Tomoyo représentaient les deux. Lui terminait 5 jours de camping et Tomoyo l’avait rejoint le matin même. Ils se promenaient ensemble avant de rentrer. En chemin, ils avaient trouvé une pierre que Yusuke montre sur la photographie.
Eu égard au temps de cet été, celui-là même que j’avais subi depuis que j’étais arrivé, je voulus savoir comment cela s’était passé pour lui. Dans un anglais avec un accent à couper au couteau, il lança un « Bad conditions » en faisant la grimace. Personnellement, l’idée de faire du camping me dépassait mais avec une pluie plus présente que le soleil, une humidité déjà existante au milieu de la forêt mais décuplée par la météorologie, je ne pouvais comprendre. Tomoyo avait d’ailleurs froid et cela se voyait. Ils partageaient ce monde de la montagne. Qui plus est, Yusuke travaillait comme fabricant d’articles de montagne à Osaka d’où il venait. Tomoyo, elle, était originaire de Mino que je ne savais même pas situer, une ville qu’ils me recommandèrent de visiter.
Ils se dirigeaient donc tranquillement vers le terminal de bus pour ensuite prendre le train et rentrer à Osaka. À ma question sur l’âge de mes modèles, à laquelle personne n’échappe, je sentis une tension qui confirma ce que j’avais deviné. Il existait entre eux une différence d’âge et ce, pas à l’avantage de Tomoyo. « Hé alors quoi ! On ne demande pas l’âge à une femme enfin ! » J’avais beau expliquer que sur les milliers de personnes que j’avais interrogées, toutes m’avaient donné leur âge mais je n’insistais pas.
Avant de nous séparer, Yusuke m’a demandé de lui envoyer la photographie. Je l’ai fait mais n’ai jamais eu de confirmation de réception…

Cédric Riveau
▲ Kohei, 32, représentant – Wajima
Dans cette ville très connue de la péninsule de Noto, j’avais souhaité visiter une usine de laque, une vraie et non une de celles qui se trouvent dans le centre, pas loin du marché matinal. Il faut dire qu’en plein milieu du mois d’août, cette période comme au Nouvel an où tout s’arrête, il m’a fallu chercher et demander pour en visiter une. Shioyasu avait bien quelques artisans mais là aussi, les trois-quart étaient en vacances… cela restait tout de même impressionnant. Je me trouvais devant la vitre du premier atelier, celui de la peinture d’apprêt quand Kohei vint me voir pour me demander si je souhaitais une visite guidée. Il portait un ensemble microphone-haut parleur qui lui permettait de se faire entendre des groupes de visiteurs. Il venait d’ailleurs d’en laisser un. J’eus donc le droit à une visite guidée privée. La spécificité de certains processus, de certains mots m’ont perdu dans ses explications mais j’ai tout de même appris plein de choses. La salle de cette fameuse laque vermillon fut la plus impressionnante… comme dans un laboratoire biologique, on y entre avec certains vêtements, on passe dans un sas et il n’y a pas un souffle pour empêcher toute poussière flottante de ruiner la couche de peinture.
La maison a 156 ans et Kohei est un des descendants, la 6e génération pour être exact. Il perpétue la tradition familiale mais j’ai bien senti qu’il y était forcé. Il n’était pas l’aîné et ne se trouvait donc qu’à une position intermédiaire. Son père avait encore les rênes de l’atelier et son grand frère était le dauphin. Le grand frère était marié et avait donné une petite fille à son père. Kohei lui n’avait pas encore l’anneau au doigt… En cette période de vacances donc, on lui avait remis les clés car tout le monde était parti.
Il m’expliqua que l’atelier avait été déplacé. Les locaux dans le centre ville n’avaient plus la capacité nécessaire pour satisfaire la demande et accueillir plus d’employés. Il avait donc été installé un peu en banlieue et il est vrai que j’avais dû prendre la voiture pour m’y rendre.
Pour le portrait, Kohei retira son ensemble sonore portable car il voulait être aussi impeccable que ses vêtements. Son intérêt pour les tissus, les habits de qualité sautait aux yeux. Certes, il était habillé pour travailler mais il ne s’agissait pas de vêtements bon marché achetés à la va-vite. Il tranchait avec le coin, avec les habitants de Wajima plutôt modestes. Je le félicitais sur ses choix vestimentaires et il en fut ravi. Il avait étudié à Nagoya, avait travaillé là-bas avant de revenir sur son lieu de naissance. Il m’expliqua la nécessité de faire autre chose avant de revenir à ce monde qu’il connaît depuis sa plus petite enfance.
Pour son portrait, je le mis dans la salle des œuvres d’art dont certaines coûtent plusieurs millions de yens…

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