Jimbocho et ses librairies

Jimbocho
Voilà un quartier où je n’étais pas retourné depuis 8 ans environ. La bibliopole Jimbocho, en japonais 神保町古書店. Sur l’avenue Yasukuni (靖国通り) existent environ 160 librairies (je ne les ai pas comptées…) remplies de livres en tout genre, en toute langue, de tout âge. Plusieurs millions très certainement. J’avais envie de retrouver un vieux quartier – comme cette partie de Tokyo qui a été épargnée par les bombardements – que je ne connais pas pour ainsi dire.
Si, à l’heure du déjeuner, les rues grouilles de salarymen filant prendre leur déjeuner, on se retrouve très vite entouré d’une majorité de personnes âgées flânant ou à la recherche d’un ou plusieurs livres précis, mémo ou catalogue à la main.
Au rez-de-chaussée de la librairie Hara, un homme s’adresse au jeune employé :
– Auriez-vous le livre… ? (impossible de comprendre le titre)
– Oui, tout à fait. Il sort de son comptoir en soulevant une planche qui sépare l’espace public de la réserve. Le client le regarde perplexe. Le vendeur pointe le livre du doigt et le fait sortir par l’arête du haut, penchant ainsi l’objet comme on le fait souvent face à une bibliothèque.
– Ah oui… Attendez !
– Oui bien sûr.

Le client sort un papier qui ressemble à un bon de commande.
– C’est bien la troisième édition de 19XX ?
– Oui, oui.
– Oh la attendez ! Il faut que je passe un coup de fil.
Il se précipite à l’extérieur et entre en discussion avec ce que j’imagine être le précédent libraire où il a commandé ce fameux livre.
Avec un peu de ténacité, on peut donc tout trouver, j’en suis sûr !

Ayant posé mon vélo au carrefour des avenues Yasukuni et Hakusan, je me dirige vers la sortie du métro, de l’autre côté, mon appareil à la main. J’ai décidé d’aborder les choses tranquillement. Je ne suis pas sûr de faire des photos. Je ne suis pas sûr de ramener quelque chose. Devant la sortie ou un des passages piétons, je commence par la masse salariale. Un badge autour du cou ou encore une cravate, ils sont facilement reconnaissables.
Je continue sur le même trottoir. Une collection d’ukiyo-e dans une vitrine me fait entrer dans cette première boutique. Toshusai (東洲斎) est géré par deux mamies assez chics. Elles m’expliquent que je peux regarder tout ce qui nous entoure, ouvrir les tiroirs mais pas prendre de photos. Bon d’accord… Les clients se succèdent dont un qui semble être un habitué et qui veut quelque chose de spécifique puisqu’il ne regarde que trois tiroirs précis et repart aussitôt. Pour ma part, j’ai repéré quatre librairies où je veux me rendre. Elles sont assez connues et abritent des collections de livres d’art internationaux ou justement des ukiyo-e.
Sur le trottoir d’en face, je commance par la belle boutique Yamada (山田書店), bien rangée. Je grimpe au deuxième étage qui a une galerie. Je retrouve le papy expert qui cherche toujours quelque chose avec détermination. L’endroit est de qualité : ce n’est pas qu’une simple librairie mais bien une galerie d’art. Des sculptures, des manuscrits et des ukiyo-e d’époque sont disposés deci-delà, certains sous une vitrine d’exposition. On peut aussi aller au quatrième étage qui renferme toute la collection de livres d’art (de la famille ?). Très impressionnant, il y a même des catalogues d’expositions que j’ai vues il y a bien longtemps, ici ou ailleurs en Europe.
Jimbocho
Toujours sur le même trottoir, un peu plus vers l’ouest, je trouve Isseido (一誠堂書店) et son bâtiment qui me frappe tout de suite. J’ai l’impression d’être transporté à l’époque Showa. L’intérieur et son escalier sont tout aussi splendides. Des bâtiments comme celui-ci à Tokyo doivent commencer à se faire très rares… Le personnel est adorable et plus particulièrement un homme barbu que j’essaie de prendre en photo mais qui refuse. Il m’apprend, au fil de notre discussion, que la construction a été terminée en 1931 et que la librairie s’y est installée aussitôt. Je suis sous le charme. Le rangement impeccable du premier étage constitue les prémices de la qualité des livres qui se trouvent au deuxième étage, comme celle d’une bibliothèque nationale en France. En haut de l’escalier, je m’arrête devant un très gros volume des Fables de La Fontaine, une édition de 1868 avec des gravures de Gustave Doré. Hallucinant ! De l’autre côté de la pièce, des enluminures du XVe siècle… Isseido, du lourd, du très lourd. L’homme barbu m’attend en bas pour me demander si j’ai trouvé quelque chose. Nous continuons à discuter.
Toujours vers l’ouest, je dirige mes pas vers la librairie Ohya (大屋書房). Autre voyage dans le temps mais ici national. Des murs entiers de manuscrits de tous les âges. Ici, même à l’intérieur, pas de photos possibles. C’est bien dommage car il y a des choses fantastiques à prendre. Vexé, je ne reste pas longtemps. Retournant vers l’est, je passe dans une grande librairie moderne car un livre en vitrine, sur l’ère Showa justement, m’attire. Je trouve aussi un peu plus loin, l’office du tourisme, si j’ose dire. Il s’agit en fait du centre d’informations avec une femme qui connaît le quartier comme sa poche et un étalage signalant tous les événements du coin. Je récupère la brochure d’un festival de cinéma qui semble kitschissime (festival みつめていたい!若尾文子). On peut même accéder à des ordinateurs connectés au site officiel pour faire ses recherches de livres ou de magasins. L’employée m’oriente justement vers la dernière librairie que je souhaite voir. Il me faut retraverser le carrefour de tout à l’heure. J’en profite pour observer tranquillement les gens et devantures qui sont sur le chemin.
Si le rez-de-chaussée du magasin Hara (原書房) n’a aucun intérêt – si ce n’est celui d’écouter et de voir l’histoire relater au début de ce billet – le deuxième est composé lui aussi une galerie. En arrivant en haut des marches, mes yeux s’écarquillent en voyant derrière un bureau, en train de travailler, Yukari, que je n’ai pas vue depuis longtemps.
– Cédriiiiiiiic !
– Ooooooh !
– Ca fait longtemps !
– Tu travailles ici ?
– Ben oui. Tu es venu par hasard ?
– Ben oui, la librairie Hara est connue pour sa galerie alors je suis venu voir.
– Ça alors…

Et la discussion continue. Nous rions de ces retrouvailles. Ici aussi, les livres et les œuvres d’art sont de qualité. Je ne regrette pas mes quatre choix.
Histoire d’être un peu moins sérieux et parce que j’adore les couvertures des années 50 ou 60, j’entre dans une librairie spécialisée dans les magazines. Tout n’est pas très vieux mais l’ambiance est amusante et le responsable derrière la caisse me parle à tout bout de champs en affichant un large sourire, à l’image de l’ambiance qui règne dans ce quartier.
Peu confiant de faire des photos montrables à mon arrivée, je repars finalement avec plusieurs clichés qui me semblent valoir la peine. Ça me manquait.

9 comments

  1. Wouahhhh, terrible cette ambiance, joli ce rendu qui donne très bien à ton sujet, j’adore la n° 8
    A bientôt

  2. La décoration arabe qui côtoie les fables de La Fontaine, le tout relié et dans une librairie japonaise, j’avoue c’est un peu surréaliste.
    Bien la nouvelle présentation du blog, sinon…

  3. Pingback: Tweets that mention Balade dans le quartier de Jimbocho de Tokyo | Color Lounge -- Topsy.com

  4. Wow! C’est le quartier où je travaille!!
    …..et selon une pubulicité dans le métro, le ‘ Quartier Latin de Tokyo »… 😯

    Enfermée toute la journée dans une tour moderne, je ne connais que la ‘Suzuran Dori’,
    pas bien ses libraires…
    (..la honte…mais ils sont fermés quand je sors du bureau..)

    Merci pour les photos de ce vieux quartier. 😉

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